Jour 42 et « Culture et frénésie » une jolie bouffée d’oxygène que nous offre l’auteure toulousaine Sylvie Etche. Elle a signé deux romans, « Le cri du Toucan » et « Les trois vies d’Eva » ( Éditions Edilivre). Merci à elle.
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Culture et frénésie
J’adore ce confinement. Oui, ça va en choquer plus d’un, mais tant pis : j’adore ça.
Ce vendredi 13 mars 2020, alors que tous les superstitieux guettaient quels malheurs allaient leur tomber dessus, moi c’est le bonheur qui m’a cueillie. Parce que c’est le jour où mon chef m’a dit : « Satané Covid19, on ferme, ne remettez pas les pieds au bureau jusqu’à nouvel ordre ».
Ce jour, je m’en souviendrai toute ma vie. Il a marqué les débuts du confinement, et par là-même le début d’une période unique, intemporelle, quasi irréelle.
Confinée dans ma maison toulousaine, à moi s’ouvrait paradoxalement la liberté. Liberté d’oublier l’heure, de vaquer, de ranger, de jardiner, de lire, d’écrire, de chanter. Jusque-là confinée à de maigres plages de temps libre, la Culture est revenue à grand pas dans mon emploi du temps.
Entre autres, j’ai décidé de regarder un grand film par jour. Un que j’ai regretté de ne pas avoir vu au cinéma, ou bien un dont mes amis m’ont tant parlé, ou bien encore un qui a pu être primé. Les plateformes d’aujourd’hui nous permettent de consommer du film à volonté. En instantané. Alors j’allais consommer.
Ça m’est arrivé un après-midi. Je venais de découvrir Hors normes, avec Vincent Cassel. C’est ce film qui a été présenté au festival de Cannes l’année dernière, et qui parle des enfants autistes, et des associations qui s’en occupent. Il avait bénéficié d’un bouche à oreilles fantastique, et par manque de temps je n’avais jamais pu aller le voir.
Je suis donc là, sur mon canapé, sonnée, et le générique de fin danse devant mes yeux humides. On ne sort pas indemne d’un film comme ça. Il faut du temps pour le digérer. Je laisse le générique défiler longuement, je m’imprègne de la musique de Grandbrothers pendant que les images se bousculent encore dans ma tête. Je m’interroge. Comment les petits autistes vivent-ils ce confinement ?
Soudain je ressens l’envie irrépressible d’attraper un cahier, un stylo. J’ai besoin d’écrire. De noter. De mettre noir sur blanc toutes ces pensées qui tourbillonnent. La fièvre me fait jeter des mots frénétiquement sur ma feuille. Quasiment en apnée je gribouille, je barre, je souligne. En moins de vingt minutes, mon texte est prêt. Je me recule, je respire profondément, la tension se relâche. La fièvre a disparu.
Sur le cahier, mes mots forment un poème que je n’oublierai plus.
Ma norme à moi
La nuit est douce et belle, et le dehors m’appelle.
J’avance mais tout est noir, où est mon arc en ciel ?
Ma vie n’a pas de sens, tout en moi est malaise.
Faites taire ce silence, c’est le bruit qui m’apaise.
Sont-ils fous, ou c’est moi ?
Pourquoi ce monde obscur ?
Autiste on dit de moi,
Qui ai le cœur si pur.
« Respire. Contrôle. Jette tes dernières forces !
Et si ça dégénère : vite tu désamorces.
Suis les règles, obéis, et surtout pas de blague ! »
J’essaye tant que je peux, mais mon esprit divague.
C’est obscène, c’est gênant, tous les regards se posent
Sur mon corps oscillant parsemé d’ecchymoses
Il ne m’obéit pas, il se désarticule
Seules les drogues tairont mes gestes ridicules.
Taper, casser, tout démolir
Ma norme à moi c’est de détruire.
Que les démons qui me font fuir
M’autorisent un jour à sourire.
Différent je suis né, faudra t-il m’enfermer ?
Ce poids qu’on m’a donné, comment l’apprivoiser ?
Les tourments qui m’oppressent cesseront-ils un jour ?
J’ai peur et je me blesse, qu’on vienne à mon secours.
Je tremble mais pas de froid
Je crie mais pas de peur
Je tape mais pas de mal.
Quand finira le bal ?