Jour 51 et « Droits et libertés fondamentales en danger » de Marie-Christine Vergiat. Députée européenne 2009-2019 où elle a été l’une des porte voix du combats pour l’accueil des migrants, elle est aujourd’hui Vice Présidente nationale de la LDH.
Elle a publié aux Éditions Arcane 17 « Pour une Europe de l’égalité et de la citoyenneté »
_________________________________
Droits et libertés fondamentales en danger !
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nous nous étions habitués à voir les droits et libertés progresser même si la réalité de leur mise en œuvre est plus complexe dans les faits.
D’abord, il ne faut pas oublier que la Déclaration universelle des droits de l’Homme a été adoptée en 1948, mais par seulement 50 États. Nous étions encore en période coloniale et à la veille du début de la Guerre froide. C’est le contexte du nazisme qui a amené l’URSS et ses partisans à s’abstenir lors du vote.
En outre, nous savons que plus globalement et sans vouloir refaire toute l’Histoire, qu’entre la reconnaissance des droits et leur effectivité, il est nécessaire de mener beaucoup de combats. La question des droits des femmes en atteste où s’il s’agit de ne rien nier des avancées réalisées, il est un fait que le combat pour l’égalité reste d’une actualité vibrante.
Mais depuis l’état d’urgence de 2015, cette régression des droits et libertés est devenue plus visible. Pour une partie croissante de la population.
Pourtant, depuis les années 90 et plus encore les années 2000, les exilés, particulièrement celles et ceux provenant des anciennes colonies et leurs descendants sont en première ligne de cette régression des droits. Souvenons-nous des « émeutes » de 2005. C’est à cette occasion que pour la première fois, l’état d’urgence a été appliqué sur le territoire métropolitain, sur la base de textes remontant à la Guerre d’Algérie.
Depuis les violations des droits n’ont plus quitté les quartiers populaires où a explosé la montée des violences policières, les contrôles d’identité systématiques (au faciès), le remplacement de la police de proximité par des agents de la BAC, …
A l’époque peu de monde a réagi, peu encore en 2015 car cela ne semblait concerner- au moins en théorie- que la population musulmane ou celle qui était supposée l’être. Pourtant cela aurait dû nous interpeller... Peu à peu, notamment à partir de la répression des manifestations contre la loi El Khomri, tous les gouvernements confondus ont usé de politiques répressives et banalisé le recours à la violence comme moyen du « maintien de l’ordre ». Oubliés les principes de finalité, de nécessité et de proportionnalité qui doivent guider l’action des forces de police.
Quand les mesures d’urgence deviennent permanentes.
Fin 2017, la quasi totalité des mesures qui avaient été prises dans le cadre de l’état d’urgence adopté pour lutter contre le terrorisme en 2015, ont été transposées dans le droit commun. Les autorités administratives, et notamment les Préfets, peuvent désormais largement entraver les libertés de personnes sur lesquelles pèsent uniquement des soupçons et ce, sans contrôle du juge. Des mesures portant atteinte aux libertés fondamentales telles les assignations à résidence, les perquisitions, les fouilles systématiques dans certains périmètres ont été déployées à grande échelle lors des manifestations des Gilets jaunes puis se sont généralisées à l’ensemble des mouvements sociaux.
Pour réagir, il faut sans cesse dénoncer, montrer le caractère « anormal » de la situation, montrer que nos pays voisins notamment n’agissent pas de la sorte. L’ONU, le Conseil de l’Europe et même le Parlement européen, alertés, ont pointé du doigt et dénoncé ce qui se passait en France au moment des manifestations des Gilets jaunes. C’est de nouveau le cas aujourd’hui !
Depuis le début de l’état d’urgence sanitaire (EUS), la Ligue des droits de l’Homme et d’autres organisations, des avocats et des magistrats ne cessent d’agir devant les tribunaux pour que tout le monde ait droit à un minimum de protection quels que soient son statut, sa nationalité, … car le plus scandaleux dans la période actuelle, c’est que ce sont les plus précaires qui sont le moins protégés et voient se renforcer leur vulnérabilité.
Nous devons donc sans cesse prendre date, ne pas nous taire, pour que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas. Les droits et libertés sont la base de la démocratie. S’ils sont attaqués, tout régresse.
La crise du COVID accélérateur d’une dérive liberticide.
La particularité de l’EUS, c’est qu’il touche l’ensemble de la population. Nos libertés les plus fondamentales telles celles d’aller et venir ou de nous réunir ont été bloquées du jour au lendemain. Nous avons été toutes et tous assignés à résidence et soumis à des autorisations de déplacement dont la légitimité est laissée à la libre appréciation de la police. C’est une situation inédite.
Ce n’est que le 23 mars que le Parlement, réuni dans des conditions pour le moins discutables du point de vue de la démocratie, a voté les annonces présidentielles du 16 mars, mises en œuvre dès le lendemain. Des dispositions font peser des risques sur des droits sociaux sans rapport avec l’EUS. Le Conseil constitutionnel et le Conseil D’État se sont mis quasiment d’eux même entre parenthèses. La Justice est dans la quasi-impossibilité de fonctionner. On peut dire que la démocratie a été mise en sommeil. Et compte tenu des précédents, comment ne pas s’en inquiéter ?
Au nom de la nécessaire protection de toutes et tous, le Parlement vient de donner son feu vert à l’usage de l’outil « STOPCOVID ». Le risque est qu’il ouvre les fondements d’un système de surveillance généralisée sans que sa pertinence soit réellement démontrée surtout si sa mise en œuvre repose sur le volontariat.
De plus, alors que les plus vulnérables au COVID19 sont les plus de 70 ans, seulement 44 % d’entre eux possèdent un portable. La protection ne pourra donc être que toute relative. Sans parler des risques pesant sur des données médicales auxquelles pourraient avoir accès de simples autorités administratives, de la pression sociale pouvant s’exercer sur les « réfractaires » ou de la stigmatisation des malades.
Nous connaissons malheureusement cette mécanique, pour notre bien, notre sécurité, des outils de plus en plus intrusifs dans notre vie privée sont mis en place et s’y opposer devient un manque de civisme quand on ne se retrouve pas accusé d’avoir des choses à cacher et donc suspecté.
La « dé-démocratisation » un processus irréversible ?
Rien n’est jamais ni totalement irréversible mais le retour au monde d’avant est sans doute illusoire. Les dérives anti-démocratiques se multiplient. On le voit au Brésil ou aux Etats unis mais aussi en Europe notamment en Hongrie, et en Pologne et malgré quelques rodomontades peu crédibles, les autres membres de l’Union européenne ont refusé de les condamner.
Tout cela détruit les « démocraties européennes et fait monter le nationalisme tout comme bien sûr les conséquences sociales des politiques ultralibérales dont nous payons le prix aujourd’hui aujourd’hui avec la pandémie notamment dans les services publics et tout particulièrement ceux de santé.
Tout espoir n’est jamais perdu mais on a de quoi être inquiets car les dérives autoritaires qui frappent notre pays ont quelques points communs avec ce qui se passe dans les pays du groupe de Visegrad. (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie)
Les résistances sont là et ne prennent pas toujours des formes traditionnelles. Nous devons être à l’affut de toutes les mobilisations sans opposer les unes aux autres mais en les rassemblant et en leur permettant de donner naissance à un nouveau projet politique. A la Ligue des droits de l’Homme, nous disons qu’il ne faut pas opposer les droits économiques et sociaux aux droits civils et politiques. C’est ce que nous appelons l’indivisibilité des droits qui a autant d’importance que leur universalité. Ne pas opposer les combats pour l’égalité sociale à ceux pour les libertés mais tricoter les uns avec les autres. Et ce, quelque soit le statut, la nationalité, la religion, le genre des uns et d’autres. Pour que toutes et tous naissent et demeurent égaux en dignité et en droits. Un bel objectif pour le monde de demain.