Jour 33 de notre carnet de bord et un détour par le Portugal avec le francophile Miguel Viegas. Titulaire d'un doctorat en Économie à l’Université de Porto, il est aujourd'hui professeur d’Économie à l'Université d'Aveiro.
Membre du Parti Communiste Portugais, il a été député européen de 2014 à 2019 et membre de la commission des affaires économiques et monétaires et de la commission de l'agriculture et du développement rural. Un. merci chaleureux à toi Miguel et prends soin de toi!
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Défis pour l'enseignement supérieur : Moins de concurrence et plus de coopérations
En juin 1999, 29 pays ont signé la Déclaration de Bologne. L'initiative avait pour objectif d'harmoniser les systèmes européens d'Enseignement Supérieur, d'élever les normes de qualité et de compétitivité à l’échelle mondiale et d’encourager la mobilité des étudiants, des enseignants et des chercheurs dans le cadre du futur « espace européen de l'enseignement supérieur ». Le processus de Bologne a créé un système de diplômes universitaires facilement reconnaissable dans tous les États membres, basé sur trois cycles d'études et un système de crédits transférables et cumulatifs (ECTS), communs aux pays européens, pour obtenir une mobilité plus large des étudiants.
Parallèlement, la politique européenne de recherche et de développement technologique (RDT) s’est consolidée, occupant une place centrale dans la « stratégie de Lisbonne (2000) » dont l'objectif stratégique était de convertir l'économie de l'Union européenne à « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique le monde, avant 2010 ». Dans un contexte de concurrence internationale forte et croissante, la solution passait par le développement au niveau européen d'un marché de la connaissance basé sur l'innovation et les techniques les plus modernes de gestion compétitive. Devant cette nouvelle situation, le diagnostic des académies était dévastateur. Les universités en général étaient jugées inefficaces pour offrir des diplômés qualifiés, innovaient peu et étaient déconnectées de la demande sociale et des besoins du tissu économique. De plus, elles n'étaient pas attrayantes sur la scène mondiale perdant sur tous les niveaux en face de leurs concurrentes américaines.
C’est dans ce contexte que des réformes ont été prescrites, toutes fortement marquées idéologiquement par le paradigme néolibéral dominant. La recherche devrait avoir pour objectif prioritaire d'accroître la compétitivité des économies et les modèles de financement devraient stimuler les interactions avec les entreprises. En favorisant l'autonomie des établissements d'enseignement supérieur, l'État a progressivement délaissé sa responsabilité du financement. Il s’est réservé, petit à petit le seul le rôle de régulateur et d'évaluateur. L'exemple portugais est éloquent dans la façon dont l'État a détruit son système technique et scientifique national (voir figure 1). L'augmentation de la qualité et de la productivité des enseignants et des chercheurs a commencé à être surveillée et mesurée par des formules d´évaluation objective, complexes et soi-disant « infaillibles » ; le transfert de connaissances vers le secteur privé devenant la troisième mission des universités sous le modèle d'innovation du « Triple Helix ».
D'un point de vue sémantique, certains mots ou expressions tels que "économie de la connaissance", "excellence", "employabilité", "évaluation des performances" sont devenus une présence obligatoire dans les discours des institutions européennes et dans les textes législatifs. Les établissements d'Enseignement Supérieur ont été invités à quitter leur sanctuaire et à s'intégrer dans la société, ce qui revient à dire dans le marché concurrentiel. Chaque université a commencé à faire construire son plan promotionnel selon les dernières techniques de marketing commercial. L'objectif était d'attirer des étudiants, de préférence talentueux, destinés à alimenter l'usine d'articles et autres produits scientifiques et de faciliter l'accès aux "Rankings" des meilleures universités du monde. Le rôle « entrepreneurial » a commencé à assumer une place absolument stratégique. Et il s‘est agi de créer un environnement propice à l'innovation et à la naissance de « spin-offs » ou autres néologismes importés presque tous de la Silicon Valley, transformés en haut lieu de l'innovation et du savoir. S'appuyant sur une panoplie d'outils de communication et de formation, l'objectif est alors de diffuser un « esprit d'entreprise ». Plus que la création de structures, l'idée est de consolider l'entrepreneuriat comme une attitude associée à des qualités telles que le dynamisme, l'autonomie, la créativité, l'esprit d'initiative etc. Cette nouvelle compétence doit être transversale et diffusée à tous les niveaux de la communauté universitaires, chercheurs, enseignants et étudiants et tous les domaines de la connaissance scientifique.
Le premier programme-cadre de recherche (PC) de l'Union européenne a été créé en 1983 pour une période de quatre ans. Au cours des dernières décennies, les PC successifs ont apporté un soutien financier à la mise en œuvre des politiques européennes de recherche et d'innovation. Les PC sont devenus un élément important de la coopération en matière de recherche en Europe. Sa taille, sa portée et son ambition augmentent progressivement. Horizon 2020 (le 8e PC) est actuellement le programme-cadre le plus important et le plus ambitieux conçu à ce jour avec un budget d'environ 80 milliards d'euros. L'un des objectifs d'Horizon 2020 est d'atteindre la limite de 3% du PIB consacrée à la recherche et au développement (R&D), constituant ainsi un pilier fondamental de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive, qui a remplacé la stratégie de Lisbonne.
La réalisation de cet objectif implique une augmentation d'un million de nouveaux chercheurs supplémentaires et pourrait, selon les estimations de la Commission européenne, donner un nouvel élan à l'économie avec la création de 3,7 millions d'emplois au sein de l'Union européenne. Le programme Horizon 2020 a été conçu autour de 3 axes : l'excellence scientifique, soutenant la position de l'UE en tant que leader mondial dans le domaine de la science, le leadership industriel et les défis sociétaux dans 7 domaines : santé, sécurité alimentaire, énergie, transports, climat, inclusion et sécurité.
Quand le programme Horizon 2020 a été conçu, nous vivions encore une période d'ouverture de l'Union européenne au reste du monde avec la multiplication de nouveaux accords de libre-échange. C'est dans cette logique de confrontation économique et commerciale avec les pays tiers que se consolide la nécessité d'une mobilisation de la communauté scientifique, visant à renforcer la compétitivité des entreprises européennes. Le programme Horizon 2020 est ainsi un élément clé de la politique de recherche actuelle de l'Union européenne qui propose de mettre les sources d'innovation au service des entreprises et du tissu économique européen. C'est la seule façon d'expliquer son caractère compétitif, qui place toutes les institutions scientifiques européennes sur un pied d'égalité dans les concours d’accès aux fonds du programme. Le problème est que ce système place les pays et régions de la périphérie de l’Union Européenne dans une position de double subordination. Subordination des systèmes scientifiques aux orientations bruxelloises d'une part et aux principaux consortiums européens de recherche qui concentrent l’immense majorité des fonds du programme.
L'actuel programme-cadre Horizon 2020 est presque à son terme. Tout indique que l'objectif de dépenses de R&D de 3% ne sera pas atteint dans l'UE (voir figure 2). Au Portugal, les dépenses seront proches de 1,5% du PIB. Dans le cas portugais, il est intéressant de regarder l'évolution sur la période entre 2007 et 2018 où les dépenses de R&D ont subi une double contraction. Elles ont diminué proportionnellement au PIB au cours d'une période au cours de laquelle le PIB s'est également contracté d'environ 6%. Tout comme l’investissement public, les dépenses publiques de R&D ont également servi de variable d'ajustement à la politique budgétaire et aux règles de déficit. En d'autres termes, au lieu d'utiliser les dépenses de R&D comme des dépenses anticycliques destinées à atténuer la baisse du cycle économique et à favoriser la croissance, le gouvernement portugais a fait exactement le contraire, provoquant un climat l'incertitude au sein de la communauté scientifique nationale, interrompant les projets et provoquant la sortie de chercheurs hors du pays. Le programme Horizon 2020, avec sa matrice concurrentielle, reproduit les asymétries de l'Union européenne en conséquence des grandes difficultés pour les pays périphériques comme le Portugal dans l'accès aux financements. Tout comme dans les programmes-cadres précédents, le financement obtenu via Horizonte 2020 continu bien en dessous de 1%, ce qui fait du Portugal, en pratique, un contributeur net au programme. À ce moment où la durée d'Horizon 2020 touche à sa fin, les projets menés par le Portugal ne représentent que 0,6% de l'enveloppe totale.
Selon les chiffres de l'Unesco, il y a aujourd'hui environ 8 millions de chercheurs dans le monde. Les capacités de recherche mondiales n'ont jamais été aussi élevées. Le drame c’est que cette capacité, y compris la capacité du secteur public, est aujourd’hui au service d'un modèle de combat économique entre entreprises, régions et pays. Des ressources immenses sont ainsi gâchées alors qu'il y a en même temps un manque d'investissement dans des domaines clés comme la santé où nous perdons la bataille contre les bactéries multi-résistantes ou la transition énergétique. Tout laisse prédire que le prochain programme-cadre 2021-2027, « Horizon Europe », sera à nouveau renforcé avec un budget d'environ 100 milliards d'euros. Cependant, s'il n'y a pas de changement substantiel dans sa logique interne, les effets pervers déjà identifiés dans les tableaux précédents continueront à sévir, notamment :
Le développement d'une industrie de production de candidatures aux projets destinée à lever des fonds au détriment de l'activité de recherche ;
L’approfondissement du cadre concurrentiel entre chercheurs scientifiques et institutions au détriment de la coopération ;
La privatisation des connaissances au moyen d'instruments juridique raffiné pour mieux garantir l'appropriation et l'exploitation commerciale des droits de propriété intellectuelle au service des intérêts privés et au détriment des intérêts de la société dans son ensemble ;
La dégradation des conditions de travail des chercheurs, avec la propagation de la précarité résultant de la logique de court therme du financement des projets.
Il est grand temps de repenser la politique scientifique européenne, de libérer le nouveau programme « Horizon Europe » et les autres instruments de financement de la « dictature » du marché. La recherche appliquée doit coexister avec la recherche fondamentale. Les lignes directrices fondamentales doivent être définies à travers un processus capable d’impliqué une majorité de la communauté scientifique. Il faut rompre avec les règles de financement actuelles qui freinent la créativité scientifique et restreignent la capacité de décision et de choix en fonction des besoins sociaux. Les États membres et l'Union européenne sont aujourd'hui en mesure, s’ils le veulent, de réunir les ressources financières et humaines pour créer un vaste plan public de recherche basé sur la coopération internationale et qui soit capable de répondre aux énormes défis sociaux, économiques et environnementaux auxquels sont confrontés le monde et l’Union Européenne.
Aveiro, Avril 2020.