Jour 25 et « Pour une école publique et émancipatrice » réflexion de l’essayiste et historienne Laurence de Cook destinée à alimenter un manifeste d’ATTAC. Avec Mathilde Larrère historienne également elle joue la détricoteuse sur Mediapart où tient aussi un blog de textes d’enfants confinés. Allez y jeter un coup d’œil.

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Pour une école publique et émancipatrice

L’expérience de la fermeture des écoles et de la supposée « continuité pédagogique » mise en place précipitamment pour la compenser montre à quel point il est urgent de redéfinir et solidifier les contours d’une école vraiment publique. S’il va de soi qu’aucun dirigeant (pour le moment) n’ose vertement s’en prendre à son principe, l’examen de la réalité donne en revanche la mesure d’un démantèlement pas à pas de ses fondations dont on peut redouter l’accélération.

Commençons donc par rappeler quelques fondements sur lesquels il ne nous semble pas possible de transiger : le droit à l’éducation pour tous les enfants est garanti par la puissance publique, il passe nécessairement par la gratuité de l’école et par une attention particulière aux enfants issus des catégories les plus socialement défavorisées. La lutte contre les inégalités scolaires est donc la boussole de toute politique éducative soucieuse d’une véritable démocratisation scolaire, condition de la justice sociale. Quelles que soient les origines sociales et les appartenances culturelles des enfants, toute forme de ségrégation scolaire est donc contraire aux principes d’une école publique.
Ceci posé, il faut admettre que les entorses à cette démocratisation scolaire ne datent pas d’hier. On sait à quel point, en matière d’école aussi, le fossé entre la théorie et les pratiques est loin d’être comblé. La logique de tri est hélas au cœur même de l’école républicaine depuis un siècle et demi : tri social, tri genré, tri racial au temps des colonies, et tri par le principe pernicieux du « mérite » qui entretient l’illusion d’une égalité sociale face aux savoirs. Des progrès ont certes été faits en la matière mais ils restent minimes au regard du défi d’une école vraiment émancipatrice, pour toutes et tous.

Hélas l’expérience du confinement agit comme un révélateur dramatique de toutes ces inégalités et de l’absence de perspectives politiques pour y remédier tant que les mêmes resteront aux manettes. Alignant ses formules-choc vides, Jean-Michel Blanquer a, en guise de réponse au drame, préféré asséner ses « continuité pédagogique », « nation apprenante » et « atmosphère éducative » dans tous les médias pour rassurer l’opinion publique plutôt que d’affronter l’expertise des principaux concernés, les enseignant.e.s. Une fois encore, la communication gouvernementale, cache-sexe de la gravité de la situation, camouflait son impuissance derrière un mensonge d’Etat. Car un examen rapide de la situation aurait montré que rien n’était prêt. Á force d’économies drastiques, l’école en France aujourd’hui n’a ni les moyens matériels, ni humains de faire face à cette situation. Son équipement informatique et ses outils numériques sont parmi les plus obsolètes ; les économies de postes ont saturé les classes déjà difficiles à accompagner en contexte normal, a fortiori à distance ; la réduction à portion congrue de la formation des enseignants ne permet absolument pas de réfléchir à des pédagogies alternatives requises lors de l’enseignement à distance.

Rien ni personne n’était prêt donc, mais tous les enseignants savaient en revanche qu’il leur serait impossible d’endosser le rôle d’urgentistes de l’éducation décrété par le ministre. Toutes et tous savaient également que ce contexte de mise à distance affecterait beaucoup moins certains élèves que d’autres, ces derniers que dès les premières semaines Jean-Michel Blanquer réduisait à l’état de pourcentages sortis de nulle-part : « nous avons perdu 5 à 8% des élèves ». Autre mensonge donc, et non des moindres, car pendant ce temps, d’autres échos faisaient état de près de 2/3 d’élèves dans certains établissements, notamment des lycées professionnels, qui ne répondaient pas à l’appel de la « continuité pédagogique ».

Il n’est pas étonnant que l’école ait sa part de drames, comme partout dans la société, mais il est impardonnable que ces drames soient occultés au nom d’une gouvernance autoritaire et volontairement aveugle aux faits.
C’est avec tout cela qu’il faut donc en finir, et sur ces cendres qu’il faudra rebâtir une école publique digne de ce nom qui n’assume pas de laisser des enfants face à la porte fermée de l’ascenseur social même si ce dernier n’a jamais correctement fonctionné.
On commencera par cesser tous les discours ambiants sur les « opportunités » du confinement pour expérimenter des pédagogies actives, alternatives, lesquelles nous seraient grâcieusement offertes par des entreprises dites « Ed tech » censées compenser le matériel d’arrière-garde de leur institution. Une école publique, gratuite, n’est pas destinée à nourrir la quête de profit.

Ceci posé, il faudra réparer la boussole de la démocratisation scolaire et refonder une politique éducative sans aucune concession à tout ce qui la dénature. Pour cela, outre la nécessité de partir d’expertises du terrain que nul ne connaît mieux que ses praticien.ne.s, il sera bon de réaffirmer quelques intangibles principes. Aucune dépense publique ne se fait en faveur de l’enseignement privé même dit « sous contrat ». C’est l’une des conditions du maintien d’un brassage social dans l’école et d’un travail collectif sur les solidarités qui en découlent. Dans cette logique également, il ne peut y avoir d’éducation pleinement émancipatrice si l’école est payante, y compris lorsqu’il s’agit de projets en apparence proches de nos valeurs. Aucune famille de catégorie populaire ne peut dépenser un demi-smic par mois pour scolariser ses enfants. Si l’on reconnaît l’importance des pédagogies dites alternatives, il faut se battre pour leur reconnaissance au sein de l’école publique et pour cela les inclure dans le cahier des charges de la formation des enseignants. A ce propos, il va de soi qu’au même titre que d’autres professions essentielles du service public qui démontrent actuellement – et plus que jamais – leur utilité sociale, le métier d’enseignant ne doit plus souffrir d’aucune marque de mépris, à commencer par sa rémunération.

On réinterrogera également le fonctionnement plus global du système éducatif et toutes les formes de dominations qu’il continue de charrier : les hiérarchies internes qui se calquent sur les normes du New public management, les orientations socialement déterminées des élèves, et les discriminations de toutes sortes, notamment raciales et liées aux handicaps. Soyons clairs, la laïcité scolaire n’a pas vocation à discriminer certains enfants au nom de leur appartenance religieuse ; que l’on cesse donc de mesurer la taille des jupes et de refuser la systématisation des plats végétariens à la cantine.

Last but not least, le monde demain ouvre l’opportunité de repenser les contenus d’enseignement. La France est arcboutée sur des programmes scolaires encyclopédiques, a-critiques et souvent déconnectés des enjeux contemporains. On ne citera pour s’en convaincre que l’exemple des questions environnementales réduites à la dimension d’une morale naïve et dépolitisée. Dans tous les cas, remettre du politique dans ce qui est enseigné, ce n’est pas s’adonner à un projet d’endoctrinement collectif, c’est poser comme un postulat que l’école prépare la transformation sociale sur des bases plus justes, égalitaires et démocratiques ; que dans cette perspective, les enfants et adolescents doivent s’armer d’arguments critiques, l’intelligence collective ne pouvant jaillir que de la confrontation des raisonnements.

On le voit, c’est tout un paradigme qu’il faudrait retourner : celui d’une institution de tri, donneuse de leçons que nous transformerions en école laboratoire de la pensée critique et de l’émancipation collective. Chiches ?