Jour 19 et un beau texte « Mon amour » de Philippe Pourtalet déclaration de amour d’un homme à sa femme, témoignage de reconnaissance de l’auteur haut pyrénéen aux soignants.
Philippe vient de publier « Il minuscule » aux Éditions Arcane 17 un roman qui sonde ses origines familiales après un premier roman « Comme un battement d’Elle » consacré à sa fille née avec autisme.

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Mon Amour,

Je t’écris pendant une courte accalmie. J’ai trouvé l’un des rares endroits où l’on peut quelque peu s’isoler, loin de l’agitation et du tumulte qui règnent ici à toute heure du jour et de la nuit.

L’odeur de la mort est partout. Elle imprègne tout, jusqu’à nos pensées qui ne peuvent plus s’en détacher. Le pire encore est son odeur qui flotte comme un étendard au-dessus des lits de fortune que l’on entasse comme l’on peut dans un coin. Chaque heure apporte son mort, chaque minute son lot de mauvaises nouvelles. Demain, au plus tard après-demain, nous serons en rupture de masques pour nous protéger tandis que nous sommes déjà obligés d’opérer des choix entre ceux que l’on soigne et ceux que l’on abandonne car l’espoir de guérison est définitivement vain… C’est le dénuement le plus complet et je me demande qui de l’incurie de nos gouvernants et de cette bactérie tue le plus !

Le pire est que nos supérieurs annoncent que ce n’est que le début de cette guerre et qu’il va falloir monter au front sous le feu permanent de cet ennemi invisible. « Nous verrons bien, nous disent-ils, de toute façon nous n’avons pas le choix… »
Ceux qui officient tout là-haut, bien au chaud et à l’abri, ne peuvent pas comprendre ce que l’on vit si le verbe « vivre » signifie encore quelque chose. D’ailleurs qui peut l’imaginer ? Qui peut se représenter l’inconcevable quand on n’y est pas confronté ? C’est peut-être mieux ainsi.
Mon Amour, si tu savais comme ta peau, ton sourire, ta délicatesse me manquent tellement. J’aimerais me blottir tout contre toi, profiter de tes larges caresses et l’imaginer seulement ne parvient pas à réchauffer mon cœur. Le visage de notre fille ne me quitte pas non plus et avec lui son intelligence si pétillante. Comme elle te ressemble… Ils sont l’une des dernières barrières qui m’empêche de sombrer totalement dans la folie. Je m’accroche à votre souvenir comme un condamné dans l’attente d’une grâce, d’un répit inestimable en sachant pertinemment qu’il ne viendra pas avant plusieurs semaines. Prends bien soin d’elle et de toi. Je sais pouvoir compter sur vous deux pour que vous vous entraidiez.

Sitôt ces quelques mots achevés, je m’en vais rejoindre mes confrères et consœurs qui, comme moi, ne parviennent plus à dormir ou même à s’alimenter. Derrière nos masques, je ne sais plus si nos yeux rougis sont le symbole de notre fatigue ou bien de pleurs que l’on ne sait plus retenir. Pour résister, je reste constamment concentré sur mes gestes professionnels en m’appliquant à fournir l’oxygène nécessaire, qui malheureusement se fait de plus en plus rare, à poser les perfusions, surveiller la tension, prendre la température, soigner les plaies, à éponger la sueur qui perle de regards qui pour la plupart sont déjà étouffés.

Je te le promets, ma bien aimée, tu peux compter sur moi et en aucun cas je ne te décevrai.
J’attends impatiemment de tes nouvelles.
Ton dévoué en direct du front de l’est.
Je t’aime