Jour 44 de notre carnet de bord et « le paquet de cigarettes » d’Olivier Dartigolles qui nous offre ici une déambulation dans les rues de Pau par temps confinés. Responsable politique, porte parole du PCF de 2006 à 2018, il participe aujourd’hui à plusieurs débats télévisés, et participe chaque semaine à « l’heure des pros » sur CNews.

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Le paquet de cigarettes.

Comment s’expliquer un tel silence ? Je n’ai pas souvenir de quelque chose de comparable en plein cœur du quartier du Château à Pau. Cela ressemble à quoi de déjà vécu ? Si ! L’aube pyrénéenne depuis la bergerie à Urdos. Mais nous y sommes à mille mètres. Rien d’équivalent en ville. Corinne veut que j’aille acheter un paquet de cigarettes. Cela reste un mystère. Comment une personne dont l’activité professionnelle est de tenir un bureau de presse et un dépôt de tabac peut être dans une situation si récurrente de pénurie de clopes ? Comme à son habitude, elle répond par une moue. Puis un sourire charmeur. Ce qui a pour effet immédiat de signer ma défaite malgré mon « c’est la dernière fois » qui ne provoque qu’un second sourire moqueur. Ce n’est plus une défaite mais une bérézina.

L’impasse Honset (quelle drôle d’idée d’appeler une impasse par le nom même d’impasse en béarnais) est totalement vide. Personne en vue. C’est le même panorama rue Henri IV puis rue Jeanne d’Albret. Rien de mieux sur Joffre. Le Vert galant, la reine de Navarre et le Maréchal de France se sont passés le mot : « on fait le vide ». L’autre instant de sidération vient de l’interpellation du commerçant :
« C’est pour faire une photocopie d’attestation de déplacement ? ».
« Non, pour un paquet de Vogue essentielle »...

Attestation ? Je savais François Bayrou assez branché sur le suivi de l’activité des élus de l’opposition municipale, mais là, nous franchissons une étape préoccupante. Le brouillard de l’esprit et des sens se dissipe avec l’apparition de deux individus. L’un, masqué sur le bas du visage, annonce tel un Tartarin revenant d’une belle chasse : « C’est un FFP2 que j’ai eu par un copain qui travaille à l’hôpital ». L’autre m’interroge dans la foulée : « vous êtes pour ou contre Didier Raoult ? Répondez clairement ! ». Je n’y comprends rien. Absolument rien.

Direction le funiculaire. Un jeune palois, à l’allure d’étudiant bohème, récite un texte d’Aimé Césaire. « Les rêves échoués desséchés font au ras de la gueule des rivières / de formidables tas d’ossements muets / les espoirs trop rapides rampent scrupuleusement / en serpents apprivoisés ». Il s’interrompt et interroge : « les jours d’après seront-ils plus solidaires et respirables ? On nous parle de jours heureux mais j’ai la crainte d’un retour aux jours d’avant...et vous ? » A l’instant, j’ai plutôt envie de convoquer Rutebeuf. « Que sont mes amis devenus / que j’avais de si près tenus / Et tant aimés / Ils ont été trop clairsemés / je crois le vent les a ôtés... ». A ce moment de la journée, un samedi ordinaire, j’ai un ravale de textos du groupe des copains du château pour l’apéro de 11heures. Le seul SMS est une alerte média concernant une fosse commune sur une petite île au large de New York. Je cherche la localisation. Hart Island au nord-est du Bronx. J’agrandis la photo. Des pelletées de terre noire qui tombent sur des cercueils blancs. L’article précise que des détenus, extraits de la prison Rikers Island, sont à la tâche.

Et toujours ce silence.

Est-il possible de s’accrocher à quelque chose de moins oppressant ? Oui mais au prix d’un immense effort de concentration. Le chant des oiseaux est là. Et l’eau du gave, au loin, semble plus claire. Le trafic des voitures est interrompue. Le maire de Pau a du signer un arrêté municipal. Avec la gratuité des transports en commun ? Ce qui expliquerait cette foutue « assignation de déplacement » pour me tenir éloigner et ne pas communiquer sur cette belle victoire citoyenne. Plus de 10 000 signataires quand même. Mais où sont-ils aujourd’hui les citoyens palois ? Le boulevard des Pyrénées est vide. Les commerces fermés. Les palmiers ont des allures de gardiens d’une désolation soudaine. J’aime tant les terrasses de ces bistrots où l’on imagine Lamartine sirotant un Jurançon et admirant « la plus belle vue de terre comme Naples est la plus belle vue de mer ».

Rue serviez. Le collectif des commerçant pourraient venir mettre à jour la vacance commerciale. Cela ne va pas en s’arrangeant. A son balcon, une résidente m’interpelle : « vous ne respectez pas le confinement, je vais donc prévenir la mairie et le commissariat ». Décidément, le climat en ville est au contrôle. La dame s’apaise et m’informe de sa dernière discussion avec son psychiatre : « il est tout à fait normal de parler au mur, aux plantes et autres pots...il faut simplement que je prenne contact avec lui...uniquement s’ils me répondent ». La solitude n’est donc que cela ? Ne peut-elle être un approfondissement de soi ? Un lâcher-prise ? Quand Patrick Chamoiseau parle de « haute solitude » ne parle-t-il pas « à la fois d’une étendue et d’une profondeur » ?

Les Halles. Un long serpentin de paloises et de palois . Les uns après les autres, à un distance d’un mètre. Cette file sans fin fait le tour du bâtiment. « Distanciation sociale » pour parler en fait d’une distanciation physique. J’ai comme le sentiment que nous allons avoir besoin, bien au contraire, de forts liens humains pour la période qui vient mais sans trop comprendre là où nous en sommes. Je devine le titre de la une de « La République des Pyrénées » sous le bras d’une personne. « Reprise de l’école : le dilemme des parents »...Blanquer a du faire le con avec une nouvelle réforme type « nouveau monde ». Et Sud-Ouest ? Je m’approche du bureau de presse. Idem, « les parents et enseignants sont inquiets »...« un protocole sanitaire strict ».

Puisque tout cela me dépasse...et que je n’ai en aucun cas l’idée d’en être l’un des organisateurs, le plus simple est de rentrer. J’ai le paquet de cigarettes dans ma poche. C’est l’essentiel. Mission accomplie.

« Tu dors ?... »
« Non...plus maintenant »
« Tu n’irais pas me chercher des cigarettes ». Moue et sourire.
« Ok mais je viens de faire un rêve dingue ».
« Tu me raconteras...mais après s’il te plaît ».

Impasse Honset. Silence et pas un gus à l’horizon.