Jour 29 et Divagations de Francis Sitel. Il est l'un des animateurs de CONTRETEMPS la revue de critique communiste. Professeur de lettres il a été dirigeant de la LCR avant de participer à la création de la Gauche Unitaire en 2009. Il es aujourd'hui à Ensemble!

__________________________________________

Divagations…

C'est fort improbable, et même très certainement impossible… Que Paris, une nuit ait... disparu : évanouie, volatilisée, abîmée.
Mais comme on ne sait jamais tout, mieux vaut vérifier.

Il se trouve que je loge en un lieu à partir duquel il m'est possible d'accéder au haut de la Butte Montmartre, une distance qui ne dépasse pas la limite du kilomètre que les autorités m'autorisent à parcourir une fois par jour, dans la durée maximale d'une heure, et dès lors que je suis muni d'une « attestation de déplacement dérogatoire ». Au cours de ce périple ce matin je suis tombé sur une affichette : « La Chine fabrique des masques, l'Italie des tests, l'Allemagne des respirateurs, et la France des attestations ». Toujours cet esprit d'auto-dénigrement bien français, en fait un humour frondeur qui visant le gouvernement exonère de leurs responsabilités ceux qui s'y exercent. Mais ce n'est qu'une parenthèse qu'il convient de refermer.

Donc, ce matin, j'ai vérifié, de visu, du haut de la Butte, et je peux le certifier, et par là même peut-être vous rassurer, Paris est toujours là !
Dans un état bizarre pourtant.

Une ville géante, comme aplatie, silencieuse, apaisée, presque vaporeuse. A des années-lumière du « A nous deux Paris ! »…
D'ailleurs tout semble quelque peu irréel.
Des rues désertées, des automobiles immobiles, venant des appartements des bruits familiers dans un village mais étranges ici, des chants d'oiseaux et des cris d'enfants… Mais où sont passés les habitants autrefois bruyants et affairés ?
Je signale en outre une donnée qui demanderait à être analysée. Parmi les rares passants, beaucoup sont accompagnés d'un chien, voire certains de plusieurs, presque toujours tenus en laisse.

Cela ne va pas sans poser plusieurs questions.
Le fait de vivre avec un chien, voire plusieurs, protègerait-il du virus, hypothèse qui expliquerait ce déséquilibre démographique (certes tout relatif, compte tenu de la taille fort modeste de l'échantillon) ? Et pourquoi maintenir le chien en laisse ? Les rues privées de machines rapides et dangereuses sont des espaces où piétons et animaux peuvent vaquer en toute sécurité.
Peut-être de la part de ceux qui sont les « propriétaires », donc les « maîtres », de ces chiens, la crainte d'une possible révolte domestique. A l'heure où diverses bêtes, à plumes et à poils, pas sottes, ont compris que le temps de l'épidémie la ville leur appartient, les chiens tolèreront-ils longtemps d'être ainsi privés de toute liberté ? Eux que le virus ne menace en rien. Du moins, on le dit.

Mais que ne dit-on pas ?

En bas de l'escalier descendu en vue de mettre un terme à cette enquête en forme de promenade, et respecter le délai prescrit, je suis passé à côté d'un café dénommé La Halte. Nom judicieusement choisi en cet endroit pour s'adresser aux touristes se préparant à gravir la pente leur promettant d'accéder au Sacré Coeur, ou en revenant fatigués et assoiffés, pour les inviter à se poser.
Mais des touristes, il n'y en a plus.

Du coup La Halte est hermétiquement close. Comme absorbée par son nom. Halte !
Demain, malgré tout, je vérifierai à nouveau la situation.
En effet, on ne sait jamais...

11.04.2020