Nous ouvrons ce lundi 24 mars un carnet de bord quotidien dressé par nos auteurs où chacun-e d’entre eux pourra librement écrire et développer leurs réflexions et ressentis, ses envies ou son mal être qu’il s’agisse de textes littéraires, politiques, citoyens, oniriques, d’analyses, d’appels, de fictions, de roman graphique ou tout autre...
Pour commencer J 1, une nouvelle bien noire d’un habitué des polars rouges collectifs des Éditions Arcane 17.
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YES
19h45. La nuit tombe, la résidence s’allume, petit à petit, appartement après appartement. Julien, au deuxième étage, reste dans le noir et accède discrètement à sa terrasse. Il s’installe derrière un gros massif de forsythias et vérifie qu’il a une vue parfaite sur la fenêtre du voisin du dessus. L’immeuble en effet, construit tout en courbe, permet ce regard.
Julien retrouve au pied de l’arbuste son Baïkal ; le fusil est muni d’un silencieux. Garanti deux ans, lui avait dit le vendeur. Et livré en 24 heures. L’arme lui avait coûté bonbon mais, comme on dit, faut ce qu’il faut.
Le connard du troisième allait s’encadrer dans sa fenêtre, c’était fatal, il s’y était montré tous les soirs.
Bingo. 19h56. L’autre est plein cadre.
Ce taré avait transformé son appartement en atelier. A longueur de journée, il tapait, sciait, frappait, limait. Humblement, Julien lui avait rappelé qu’un logement, c’est pas un garage. Puis il l’avait menacé, avait prévenu le proprio, alerté les associations de locataires. Tout cela n’avait servi rien, c’était comme pisser dans un violon
20h00. Toutes les fenêtres de l’immeuble s’ouvrent en même temps, partout des silhouettes s’agitent, certains voisins crient, applaudissent, chantent, d’autres tapent sur des casseroles, lancent des youyous. C’est devenu un rituel depuis une semaine ce geste de solidarité avec les personnels de santé.
L’immeuble bouillonne. Le connard du troisième participe au vacarme. « Vive la santé ! « qu’il répète. En plus son slogan est débile. Julien l’ajuste, choisit son œil gauche, tire ; le minuscule « bop » que fait l’arme se perd dans le chaos universel.
Au troisième, le connard sursaute puis s’efface, comme aspiré par les pieds.
Ce type vivait seul, on retrouverait son cadavre confiné dans un ou deux mois, se rassure Julien qui se redresse comme un pantin et se joint au chœur des voisins.
Yes, hurle-t-il à l’unisson.
YES, YES, lui répond l’écho …
En prime, la pensée du jour :
« La santé, c’est ce qui sert à ne pas mourir chaque fois qu’on est gravement malade ».
Georges Perros