Relance de notre carnet de bord où nous voulons mettre en lumière "les jours et le monde d'après", sans fard et en donnant une large part au terrain et au débat d'idées
Jour 50 et " l'impossible déconfinement de la continuité pédagogique" de Katia Yakoubi, travailleuse sociale et militante pour le droit et l’égalité pour toutes et tous dans les quartiers Nord de Marseille. Un grand merci à elle!

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L'impossible déconfinement de la continuité pédagogique (Katia Yakoubi)

Dans les quartiers nord à Marseille, le retour des enfants à l’école le 11 mai dernier s’est programmé au nom de l’égalité scolaire et sociale.

Il est vrai que les inégalités dans les milieux populaires sont nombreuses tant par les logements surpeuplés et dégradés, le chômage, la désertification médicale, la fracture numérique, l’affaiblissement des services publics, l’urgence alimentaire, le manque de transports publics, la pollution de la fumée des bateaux, des eaux souterraines par le chrome 6, dans les murs des écoles … Lorsqu’on fait une comparaison des territoires, on ne peut que voir une volonté politique de relégation de nos quartiers, une sorte d’apartheid social organisé. Dès lors que l’on parle de l’école et des quartiers populaires, des mots systémiques raisonnent comme « échec / décrochage scolaire, parents démissionnaires, ressources culturelles insuffisantes etc. » Sans pour autant évoquer les dysfonctionnements structurels de l’école : les échecs et les désillusions de la discrimination positive, le manque de personnels encadrant et de financement, la nature ségrégative des filières, les inégalités entre établissements, la sélection par les contenus d’enseignement, le dur choix entre une orientation non-souhaitée en seconde ou un redoublement de la classe, la non-affectation scolaire, la mise à l’écart de certaines orientations scolaires selon l’établissement, l’élitisme scolaire…

De ce fait, la continuité pédagogique était un devoir à accomplir et, ce fut une vraie angoisse pour tous les parents. En tant que mère de 2 garçons âgés de 7 et 4 ans, je pratique aujourd’hui encore l’école à la maison. J’ai pu négocier avec mon employeur de rester en télétravail alors que mon métier de travailleuse sociale nécessite une proximité avec le public en situation de précarité. En effet, je n’ai pu rescolariser mes enfants car le plus petit est asthmatique. Nous savons que les personnes ayant de maladies cardiaques et pulmonaires chroniques sont moins capables de lutter contre les infections et notamment le covid 19. Alors, pour ceux qui se trouvent dans cette situation, la direction de l’établissement a pris la décision de refuser l’accès à l’école. Ainsi, entant que parent mon objectif est le maintien de certains acquis scolaires grâce à l’accompagnement soutenu des maitresses d’écoles via les outils informatiques mis à disposition (mail, padlet, site de Lalilo…). Cependant, je pense qu’on ne peut pas parler de « continuité pédagogique ». Le métier d’enseignant ne s’improvise pas, il a pour mission première de développer le potentiel de chaque élève, afin de lui fournir les bases de construction à penser par lui-même et, à devenir un citoyen dans le respect des valeurs de la République. Je constate que la continuité pédagogique avec l’école à la maison ne peut être une solution durable pour un réel apprentissage dans le cadre des dynamiques de groupe nécessaires à l’apprentissage avec un grand A.

L’académie d'Aix-Marseille compte 300.000 élèves, seul 15 à 20 % ont fait leur rentrée scolaire après le 11 mai. Dans les quartiers Nord, avec huit réseaux d'éducation prioritaires, 409 élèves sur 11.000 soit moins de 5 %. Le but du gouvernement était de faire revenir les « élèves décrocheurs », il n’est clairement pas atteint. L’entrée des classes se faisant sur la base du volontariat, les parents n’ayant pas confiance vis-à-vis du gouvernement, ne veulent pas que leurs enfants servent de cobaye. Le sentiment qui se dégage est que l’école est considérée comme une garderie pour permettre aux parents d’aller travailler afin de relancer l’économie. L’éducation n’étant clairement pas la priorité, la santé morale et physique non plus.

Dans les quartiers nord, le confinement a été extrêmement bien respecté. Or, un grand nombre de personnes a été atteint du coronavirus, on y compte des morts. Sept écoles n’ont ainsi pas ouvert durant la date de déconfinement, le flou du volontariat laisse les parents croire que les enfants sont plus en sécurité chez eux. Les photos qui ont circulées sur les réseaux sociaux montrant des enfants en récréation dans des les carrés dessinés au sol n’a pas été rassurante pour les parents. L’école étant un lieu de partage, d’échanges de liens sociaux, le traumatisme de l’obligation de la distanciation physique est à craindre pour des enfants. Le déconfinement s’est réalisé sans que la sécurité sanitaire et sociale soit optimum. Je parle ici de la santé liée au bien-être de l’esprit et du corps. Le contact physique pour un enfant est important, le retour en classe dans les règles sanitaires actuelles est terriblement angoissant.

Ainsi, la continuité pédagogique dans ces conditions deshumanisantes n’existe ni à la maison, ni à l’école. Chacun est renvoyé à sa condition sociale, le covid19 est un révélateur d’inégalités entre les enfants des milieux populaires et des classes supérieurs. Il y’a malheureusement un retard qui ne pourra pas être comblé par le parent ou l’enseignant. Le rattrapage devrait se penser durant toute l’année 2020/2021 en planifiant un programme scolaire intégrant le manque des mois passés sous confinement.

L’enseignement numérique ne doit jamais être la nouvelle école du monde d’après.