Jour 53 et « le jour d’après n’arrivera pas » du sociologue Willy Pelletier. Enseignant à l’université de Picardie il est Coordinateur général de la Fondation Copernic. Il a publié aux Editions du croquant « Les classes populaires et le FN: explication de vite » ( 2017) et avec Daniel Gaxie « Que faire des partis politiques? » ( 2018)

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Le jour d’après n’arrivera pas

Qu’imagine-t-on ? Que le Covid 19 change les banquiers, les assureurs, et ceux qui les servent, en communards, en partageux ? Qu’imagine-t-on ? Qu’est effacé l’avant ?
Le peu que Macron cèdera, sera pour sauver la classe qu’il protège ; la classe que tout son être exprime ; et dont il est, pour l’heure, en politique, « fondé de pouvoir »… tant qu’il la défend.
Qu’imagine-t-on ? Les Ehpad nationalisés ? Les salaires augmentés ? Un moratoire sur les loyers ? Avec, peut-être, un plan Orsec pour qu’aucun SDF ne reste à la rue qui l’assassine ? Interdire les licenciements dans les entreprises qui ont, ces dernières années, distribué de lourds profits aux actionnaires ? Abolir les lois Penicaud, El Khomri ? Castaner transformé en Maya l’abeille ? Blanquer cessant de casser l’école au bénéfice des beaux quartiers ? Qu’imagine-t-on ? Une vraie égalité femmes-hommes ? Et qu’on va, sous six mois, interdire le glyphosate ?

Le jour d’après n’adviendra que si la gauche a un « après », si elle fait l’après, une gauche de gauche enfin ; et qu’auparavant elle s’unit pour prendre l’Etat.

Le Covid terrifie. Le basculement qu’auparavant nous avons vécu,devrait terrifier tout autant. Les patrons de toutes espèces, les actionnaires, leurs DRH, formaient une classe. Macron l’a rendu caste. En place des interdépendances d’hier, et par là des solidarités d’hier, en tout espace, Macron a fabriqué du « chacun seul ».
La réforme Blanquer du Bac rend les élèves « chacun seul » face à des orientations où joue d’abord le capital culturel hérité (ou pas). La loi Pénicaud rend les salariés « chacun seul » face aux patrons, qui à loisir peuvent licencier sans trop indemniser. De sorte qu’au travail, s’exaspèrent les concurrences, s’insécurisent les carrières, les avenirs. Ce qui empêche qu’entre salariés se forge l’intérêt commun qui, hier, faisait voir le collègue, les jeunes, les travailleurs immigrés, comme des semblables. Les « décideurs » restent invisibles. Mais au travail, où chacun se sent menacé et sans prise sur la menace, les plus proches, les voisins d’atelier ou de bureau, devenus rivaux, localisables mais méconnus, inquiètent. Chacun seuls aussi les étudiants de milieux populaires, aux Bourses non revalorisés, qui enchainent les jobs précaires pour financer (mal) leurs études. Chacun seuls, les chômeurs qui vite basculent au RSA s’ils n’acceptent pas de travailler n’importe où, à n’importe quel prix.
Chacun seuls, c’était le projet, pour les salariés face à leurs retraites. Chacune seule aussi, les générations, toutes appauvries et incapables de s’entre-aider.

Le jour d’après n’adviendra que si la gauche a un « après », qu’elle fait l’après, une gauche de gauche enfin, et qu’auparavant elle s’unit pour prendre l’Etat.
La gauche, c’est qui ? Ce n’est pas les directions des partis. Ce sont nous toutes. Ce sont nous tous. Anonymes, innombrables, ne pliant pas. Syndicalistes, grévistes, féministes, nous toutes, nous tous, électrices, électeurs de gauche, ou trop déçus donc ne votant plus, associatifs, écologistes de rupture. Nous d’en bas, coude-à-coude, qui défendons cette civilisation des services publics qui a l’égalité au cœur ; cette civilisation des libertés que les violences d’Etat révulse ; cette civilisationdes égalités sans frontières qui aujourd’hui s’en va.

La question est simple : doit-on laisser Macron gagner en 2022 ? Peut-on courir ce risque ? La réponse est simple : non, non absolument.
Macron et son mépris. Macron et sa violence, comme jamais depuis 1945, qui, par doctrine délibérée, matraque, éborgne, gaze, mutile. Macron qui décivilise, et crée un « chacun seul » universalisé.
Ce que Macron détruit, va au-delà de nous-mêmes. Alors nous devons nous hisser au-delà de nous-mêmes.
Contre le Bac Blanquer inégalitaire, nous étions coude-à-coude. Contre la casse des services publics, ensemble nous défendons la civilisation des services publics. Sur les rond-point, gilets jaunes, nous étions ensemble gilets jaunes. Devant les dépôts de bus, dans les gares, aux manifs contre cette réforme des retraites faite contre nous, pour les assureurs, les banquiers, nous sommes ensemble. Contre le logement cher, au côté les étudiants qui galèrent, nous sommes ensemble. Contre les lois punitives envers les chômeurs, pareil. Contre ces rentabilités de courte vue qui méprisent la planète, les femmes, les hommes, pareil.
Nous sommes camarades. Malgré nos histoires, nos partis, nos nuances, mes camarades, nous sommes camarades. Nous sommes ce peuple de gauche qui sait son adversaire ; qui n’appelle pas un patron, un partenaire social. Nous sommes ce peuple de gauche qui sait la lutte des classes menée contre lui.
Nous savons notre plan d’urgence : défaire d’abord toutes les réformes faites contre les salarié.es depuis 1983. Elle a une boussole, notre urgence : rétablir, établir, de l’égalité sociale partout ; rétablir, établir, des protections sociales qui autorisent des existences où se réaliser ; sauver la planète contre l’appât du gain et sa rapacité ; rendre, ce qui sera révolution, une révolution féministe, les femmes et les hommes égaux.
Nous savons notre plan d’urgence. Mais certainement, et c’est tant mieux, là est notre richesse, nous différons sur des points de programme, d’agenda, de priorités, d’organisation peut-être. Nous différons, oui. Mais pas sur l’objectif.
Nous défendons les vies de peine de tous les militants d’hier qui n’ont rien ménagé pour, partout, conquérir nos droits. Nous avons, elles nous portent, leurs voix qui nous restent. Leurs leçons de liberté nous ont faits indociles, résistants. Nous avons, qui nous portent, leurs visages camarades, leurs rires, l’insolence et leur dignité. Ce passé nous oblige, leur passé ne passe pas tant qu’avec eux nous luttons. Avec eux disparus qui nous restent sitôt que nous luttons. Aucun de ces camarades n’est mort, elles, ils, sont l’élan.

Le jour d’après n’adviendra que si, par en bas, enfin s’unissent, nous, anonymes, innombrables, qui sommes la gauche, gauche de gauche. Dans l’alliance aux écologistes de rupture.
Le dispositif par en bas, afin qu’advienne l’union, est à inventer. Mais qui, déjà, ne voit pas bruisser, s’affoler, les intérêts particuliers de certaines « directions » d’organisations ? Servent-il l’intérêt général du peuple de gauche ? Un jour peut-être, il faudra l’évaluer.
Mais pour l’heure, en commun, fabriquons des dispositifs unitaires.