Jour 8: un texte de Michel Fize sociologue et écrivain, travaillant sur l’insurrection populaire .

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Paris ville morte, Paris ville froide

Paris, ville-morte. Paris, ville froide, l’hiver arrive au printemps, ce qui n’étonne plus personne. Paris vide : de ci de là un passant dont la tristesse se lit sur le visage. Paris qui n’émet plus de vilaines fumées. Paris sans bruit, si ce n’est celui, fugitif, de la benne à ordures ou celui, plus insistant, de l’oiseau qui, perdu, ne reconnaît plus son Paris.

La réalité est là, réalité inédite. Il n’y a « pas un chat dehors », comme on disait dans mon enfance populaire, pour signifier qu’il n’y avait personne dans les rues, « pas âme qui vive », selon la belle formule littéraire que l’on n’entend plus dans notre modernité.

Image surréaliste, ce matin 27 mars. Il est 6 h 30. Je sors promener mon chien, un jeune labrador de deux ans, avec, bien sûr, mon « attestation de déplacement dérogatoire » en poche. Nous sommes seuls sur ce petit morceau de territoire du 20ème arrondissement parisien. Le jour s’éveille à peine. Le ciel à n’en pas douter sera d’un bleu pur comme la veille. Selon son habitude, Nell (c’est le prénom de mon chien) est agité, tire de tous côtés. Je ne vois personne aux fenêtres. Les gens, « confinés » comme il se dit désormais, doivent encore dormir ou vaquer à leurs premières occupations. Je sens monter en moi une formidable tristesse. Tout ça ne peut être vrai, la vie ne peut changer ainsi. Je me dis pourtant qu’à force de maltraiter la nature, de tuer les animaux, de braver les dieux – et d’abord le premier d’entre eux, celui avec un D majuscule, l’homme a peut-être bien cherché ce qui maintenant lui arrive. L’autre jour, une idée m’a traversé l’esprit ; pour m’en libérer je l’ai écrite sur twitter, le réseau social où il faut être. La voici : « L’homme a tué Dieu, alors Dieu tue l’homme ». Il se venge de lui. Mais je le reconnais, il faut être un peu catholique pour avoir cette idée-là.

Ce qui est sûr, c’est qu’un tout, mais tout petit être vivant dénommé « coronavirus » est en train d’exterminer partout sur la planète des milliers et des milliers d’êtres humains, terrassant ainsi sans discernement leur prétendue supériorité - comme quoi la petite bêbête mange parfois la grosse ! Ce petit être, qui ne tient même pas entre deux doigts, se comporte tout-à-fait comme un vengeur masqué de ce pauvre pangolin menacé aujourd’hui d’extinction. Infortuné animal victime des plus odieux trafics, recherché pour sa chair, son sang, ses écailles, ses fœtus même. Animal dont on prête aux organes des vertus anti-inflammatoires, anticoagulantes, détoxifiantes. Animal qui, dit-on, abrite la petite bêbête qui vient coloniser nos poumons pour mieux nous étouffer.

Il est bientôt 7 heures. Nell a fait ses besoins, il est à présent plus calme. Nous n’avons vu aucun policier, nulle part, c’est ainsi depuis dix jours. Paris est toujours aussi vide, froide, silencieuse. Nous rentrons. Confinement oblige !