Jour 43 et « Le caractère et le lendemain » une réflexion teintée du pessimisme de la raison du philosophe catalan Josep-Maria Terricabras. Professeur émérite à l’Université de Girona et membre de l’académie catalane, il est aussi l’une des voix du combat indépendantiste, député européen de 2014 à 2019 (groupe des Verts/ Alliance libre européenne) et animateur de la plate forme Dialogue UE-Catalogne. Il a lui même assuré la traduction de son texte en français. Un grand merci!!!

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LE CARACTÈRE ET LE LENDEMAIN

Je n'ai aucune recette pour endurer un confinement de jours et de semaines causé par cette grande manifestation réelle de la mondialisation à laquelle nous sommes confrontés. Je suis admiratif de tous les efforts privés et publics qui sont faits, tout particulièrement dans le domaine de la santé et de la protection des citoyens, et je suis blessé par les centaines et les milliers de morts et infectés.

Je suis également surpris par beaucoup de choses et je voudrais maintenant en commenter deux:

Je regrette que nous n'ayons pas bien formé notre caractère. Que nous ne sachions pas mieux résister à l'adversité. Il faut comprendre que la vie n'est pas seulement ce que nous avons décidé qu'elle peut être ou qu’elle sera, mais qu'elle est ce qui se passe, même si nous l'aimons moins, ou même si nous ne l’aimons pas. La force de caractère se fait aussi dans le silence, la lecture et la réflexion, dans le souci de sa propre situation mais aussi de celle des autres, avec complicité dans leur souffrance. Oui, cela m'étonne et m'inquiète, car c'est un indicateur fondamental pour mesurer la société qui est la nôtre et réaliser que beaucoup d'entre nous sont encore incapables de surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés: que nous allons magnifier celles qui se présentent à nous, comme déjà nous avons fait dans le passé.

Et cela m'amène à la deuxième surprise: je suis désolé d'entendre, avec stupeur, qu'après la pandémie, tout va changer. Est-ce que quelqu'un y croit vraiment? J'espère que certaines de nos habitudes individuelles changeront ou même que certaines pratiques collectives, artistiques, de soutien et d'imagination dureront un certain temps. Mais le même enfermement avec une insouciance accélérée ne vous fait-il pas voir que tant que les responsables règnent - et je ne parle pas seulement des politiciens mais des véritables puissants - quelque chose va changer? Quelque chose de fondamental, d'important, a-t-il changé après l'épidémie du 1918? Le capitalisme agressif va-t-il s'effondrer ou plutôt se renforcer?

Un optimisme irréaliste s'est emparé de nombreuses personnes. C'est peut-être de la légitime défense, mais ensuite, qu'allons-nous faire? Il me semble d'un optimisme inquiétant que ceux d'entre nous qui sont des victimes enfermées à la maison pensent que c'est nous qui mettrons fin au virus, et ainsi que nous serions une sorte de héros. Si nous respectons strictement les mesures de confinement et de sécurité, nous contribuons à la solution, mais rien de plus. Nous devons regarder les choses en face, avec caractère, sans vouloir couvrir notre désorientation, notre vide ou notre peur, en montrant des choses qui ne sont pas. Lorsque nous voulons nous donner de faux espoirs, nous agissons comme lorsque nous sifflons pour traverser une rue sombre, lorsque nous louons l'équipe qui a perdu la finale ou applaudissons un cercueil. Et pour le faire pire, certains disent la bêtise qu'il s'agit d'une guerre. Soit ils ne savent pas ce qu’est une guerre, soit ils l’arrangent pour de futures médailles.

Sans prescriptions, je recommande que nous nous positionnons bien dans ce qui se passe, que nous accomplissons notre obligation et que nous en profitons pour renforcer notre caractère et notre résilience, pour accroître notre esprit critique et notre désir de révolte face à un avenir qui, malheureusement, ne sera pas ce que nous voulons, mais ce que nous sera imposé.