J 2 du carnet de bord et un grand coup de gueule et de cœur de Philippe Pourtalet.

Haut pyrénéen, il travaille depuis vingt ans comme conseiller d'une association accompagnant vers l'autonomie un public jeune. En 2007, il devient père d'une enfant née avec autisme. Cette rencontre va bouleverser son existence. En naitra en 2013 son premier roman "Un battement d'Elle" (Arcane 17) où il évoque cette parentalité extraordinaire. En octobre dernier il publie "Il minuscule" (Arcane 17) décrivant l'univers de son enfance et entre amour et douleur et rend hommage à tous ceux, vivants ou décédés, qui l'ont précédé.

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Ce n’est pas ma guerre !

Hier, après sa sieste, j’ai décidé d’aller promener avec ma fille. Habitant à la campagne, j’emprunte sur quelques dizaines de mètres un chemin que je parcours habituellement. Nous profitons du doux soleil du printemps nouveau, balayé en ce samedi après-midi d’une petite bise venant du nord, pour nous asseoir sur une souche face au Pic du midi. C’est l’heure du goûter pour elle et j’en profite donc pour sortir de la poche de ma veste de survêtement une compote de pommes et un biscuit au chocolat. Tout est absolument, et presque étrangement, calme autour de nous alors que traditionnellement le week-end est l’occasion pour de nombreux véhicules de sillonner la route qui serpente devant nous pour atteindre le col afin de contempler le paysage donnant sur la plaine qui s’étend de Tarbes à pratiquement Saint-Gaudens ou de prétexter un arrêt au relais des chasseurs, véritable Bagdad café du coin, dont le panneau à l’entrée indique clairement pour le badaud à la recherche d’une expérience unique : « dernier point d’eau… de vie ! »

Le goûter est expédié et nous revenons sur nos pas sans oublier de saluer, au passage et de loin depuis quelques jours, Antoine et ses 94 ans qui, sur le pas de sa porte, semble s’ennuyer ferme, lui qui voit quotidiennement s’arrêter des promeneurs (variés), automobilistes (réguliers ou occasionnels), voisins (bienveillants), chasseurs (présence aléatoire selon la saison) ou l’agriculteur du quartier (dernier des mohicans à se battre pour maintenir une activité agricole à flot). Après quelques mots polis et lui avoir demandé s’il a besoin de quelque chose, je reprends la route pour effectuer les derniers mètres qui me séparent de mon domicile sous le regard triste de Bergère, la chienne d’Antoine, que j’ai pris l’habitude d’emmener balader jusqu’au col et que je laisse aujourd’hui liée à son impatience, en dénote sa queue frémissante et sa mine tristounette.

La maison est en vue lorsque j’entends soudainement le moteur d’une moto. En me retournant, en fait ce n’est pas le bruit d’une mais de deux motos que je perçois, surplombées de deux solides gaillards qui se suivent en file indienne affublés de la même combinaison type camouflage. Un instant, je me fais la réflexion de trouver un peu cavalier ces deux personnages sortis de nulle part pour aller pratiquer une activité de sport mécanique et contribuer ainsi à rompre la quiétude environnementale.
Nous nous serrons bien sur le côté du chemin afin de les laisser passer, échaudé que je suis par les véhicules que je croise dans nos différentes pérégrinations et circulant de plus en plus fréquemment à une vitesse excessive.
Les deux bécanes ralentissent. Je me dis, ces individus se sont perdus et vont me demander leur route.
Ils s’arrêtent en effet à ma hauteur et c’est en lisant dans le dos du premier le mot « GENDARMERIE », écrit en lettres capitales, que je comprends.

« Bonjour », me dit poliment celui-ci pendant que le second reste un peu en retrait dans mon dos comme pour contrôler une hypothétique fuite ou mauvaise réaction de ma part.
« Bonjour ». Je lui réponds tout autant aimablement.
« Vous avez votre autorisation ? », me demande t’il prestement derrière son casque intégral dont la visière ne me laisse entrevoir que ses yeux bleus très mobiles.
« Euh, non… désolé, j’habite juste à côté ». Je lui réponds tranquillement.
« Monsieur ! » exprime le militaire en changeant subitement de ton et en expulsant un souffle dépité que je pressens à travers sa bavette, « vous savez que je peux vous mettre une amende de 135 euros multipliée par deux ?! »
« Je pensais que l’on pouvait marcher tout autour de la maison sans justificatif particulier ». Je lui retourne de bonne foi.
« Quel est votre nom… ? C’est la dernière fois, il me sermonne et, de toute façon, on le saura puisqu’on nous a téléphonés pour nous avertir que des gens se promenaient dans les parages. » Sur ce, il repart prestement en mettant les gaz en compagnie de son collègue continuant ainsi leur méticuleuse et infaillible inspection.

Je fais les quelques pas me séparant de chez moi non sans parloter, toujours à plus de cinq mètres, avec Tonio, 84 ans depuis peu, qui s’applique dans son jardin à enlever, à l’aide d’un objet contondant, tous les pissenlits qui le peuplent et dont les fleurs écloses dans tout leur éclat solaire ont l’air de demander grâce, ceci avant de passer à la moulinette et plus précisément à la débrousailleuse le lendemain, me confirme le dynamique papy.
Je ne m’attarde pas plus et rentre directement dans mon salon sans passer par la porte d’entrée. Je propose en suivant un verre d’eau à ma fille. Elle acquiesce puis s’affale directement sur le canapé. Je la rejoins et, à peine assis, je suis submergé par des sentiments d’irritation et d’amertume.
J’essaye alors de comprendre ce qui se passe en moi et là tout s’éclaire. Cette guerre dont on nous bassine les oreilles depuis plusieurs jours désormais et qui a amené le gouvernement à prendre des actes forts et symboliques visant à combattre l’ennemi invisible pour remporter un succès sans appel, et ce « quel que soit le coût des moyens engagés », eh bien cette guerre n’est tout simplement pas la mienne !!

« Comment ?! » interrogeront certains que je vois déjà s’étrangler devant le propos exposant sans barguigner, d’après leur grille de lecture, autant d’arrogance et/ou d’inconscience.
Oui, je le répète, cette guerre ne me concerne pas !
« Que dites-vous là, vous êtes totalement irresponsable mon ami ou alors déjà atteint par le coronavirus si ce n’est par celui de la connerie ! », pourraient me rétorquer quelques-uns dans un ton mi-condescendant, mi-accusateur… « Je m’en vais prévenir la gendarmerie, je l’ai déjà fait cela ne me gêne pas, pour qu’ils vous mettent définitivement en quarantaine c.à.d. en garde à vue ! », j’entends déjà par là.
Et là mon sang ne fait qu’un tour…
« Oui, cette guerre que vous évoquez et qui est reprise à longueur de journée dans les gazettes, les réseaux sociaux, à la télé, au niveau des plus hautes sphères de l’état, cette guerre donc, en tous points comparables, je la mène depuis 12 ans sans que cela n’intéresse personne ! » puis leur rétorquer.
« De quoi voulez-vous parler mon brave ? » décline l’interlocuteur vaillamment resté à l’écoute sans s’énerver.
Je veux dire que je ne suis pas le seul à me retrouver dans cette situation car nous sommes quelques dizaines de milliers de parents d’enfants nés avec autisme à devoir chaque jour nous démener avec des moyens ridicules pour seulement avoir la possibilité d’exister, et sans que cela n’émeuve grand monde…
L’accès aux loisirs, aux restaurants, à un salon de coiffure, une activité physique… ?
Cela fait belle lurette que la majorité des parents ne s’octroie plus le droit au répit et à prendre soin d’eux, quand ils en ont seulement les moyens. En outre, je connais des parents qui, obligés de prendre à leur charge des activités thérapeutiques non conventionnelles et donc non couverts par une aide financière, vont régulièrement quémander un colis alimentaire auprès des œuvres caritatives ou services sociaux pour seulement pouvoir survivre.
Le chômage technique ou à temps partiel ?
Certains aimeraient pouvoir exercer une activité professionnelle minimale, ne serait-ce que pour se changer les idées, mais l’organisation liée à l’accompagnement de l’enfant ne leur permet tout simplement pas d’être disponibles.
Le confinement ?
Je rencontre, encore de nos jours, beaucoup de parents qui se calfeutrent chez eux de peur de croiser le regard d’individus bien intentionnés, pire le jugement de certains n’hésitant pas à émettre des sentences bien senties : « ils pourraient quand même tenir leur enfant ! », à l’égal d’un vulgaire toutou (que les défenseurs de la cause animale ne m’en veuillent pas de cet exemple pourtant parlant) lorsque le « quand même » avance l’absence d’effort pour contenir un supposé trouble à l’ordre public !
Aussi, ces parents qui éloignent leur enfant du bac à sable de peur que « ce soit contagieux » lorsqu’ils touchent de près l’atypisme des nôtres qui se goinfrent parfois de sable comme d’autres engouffrent une crêpe au sucre ou qui partent dans l’expression spectaculaire et non maitrisée de leur joie, quand ces mêmes parents laissent faire leurs besoins à leur animal de compagnie dans le dit bac (que les défenseurs des animaux ne m’en veuillent toujours pas !).
Le couvre-feu ?
Les aidants familiaux le subissent chaque soir de l’année à partir de 21h, exténués par la réalisation des tâches quotidiennes qui leur incombent, après avoir eu « la chance » de travailler la journée entière et rentrer fissa à leur domicile afin de s’occuper de leur enfant. Progéniture qui manifeste souvent en soirée un regain d’énergie qui nécessite la mobilisation des ultimes ressources de leurs géniteurs qui attaquent là leur deuxième journée, voire troisième hélas pour quelques-uns qui ne vont pas encore dormir cette nuit en raison de troubles du sommeil d’enfants que la prise de médicaments ne parvient pas toujours à calmer…
Ce n’est donc pas 15 jours de confinement que les parents ou aidants proches ont à endurer mais bel et bien une condamnation à perpétuité d’indifférence et je ne suis pas sûr que la résolution de la crise liée au coronavirus dans quelques semaines ou mois change quoi que ce soit dans la prise en compte de nos enfants, sacrifiés à l’aune d’une société qui ne tolère pas celles et ceux incapables de suivre le rythme effréné qui leur est imposé…
Et si les médias nous abreuvent à longueur de journée du mécontentement grandissant de nos concitoyens devant le manque de matériels censés les protéger, beaucoup partant en croisade pour dénicher les fameux masques ou autres solutions hydroalcooliques menant ainsi en quelque sorte une guerre du gel, moi je déclare ardemment militer pour une guerre totale et sans merci du dégel… des consciences largement mises en sommeil par l’individualisme forcené de notre société !